De la Beauté

"Par Héra ! le charmant  asile ! Ce platane est d'une largeur et d'une hauteur étonnantes. Ce gattilier si élancé fournit une ombre délicieuse, et il est en pleine floraison, si bien que l'endroit en est tout embaumé ; et puis voici sous le platane une source fort agréable, si je m'en rapporte à mes pieds ; elle doit être consacrée à des nymphes..." voici comment, selon son disciple Platon,  Socrate s'exprimait en s'installant sous un platane au bord de l'Ilissos, au pied des murs d'Athènes. Et c'est parti pour un discours en trois mouvements, de plus en plus amples, sur la Beauté et l'Amour. Si vous n'avez jamais plongé dans le Phèdre de Platon, vous avez de la chance : vous avez une belle découverte à faire en lisant à la plage cet été.

 

Mais revenons au platane. Ceux qui se sont déjà aventurés dans les villages grecs sauront sans doute de quoi il s'agit. Le platane est le monument végétal indispensable à toute place centrale digne de ce nom en Grèce, et son ombre estivale est précieuse. Sous ses milliers de feuilles, c'est une communauté qui s'abrite des violences du soleil, et en se rapprochant, échange, se dispute, se rassure, se soutient et s'éparpille moins seule à la tombée de la nuit. C'est le sens du nouveau titre de ce blog.

En ces temps curieux, où il est de bon ton en Grèce d'abandonner son tout petit village isolé pour Athènes ou Thessalonique et leur promesse de plus en plus illusoire d'une vie moins dure, il n'est pas rare de trouver ce platane vide de tout humain. Pour le randonneur esseulé ou le voyageur égaré, il est toujours d'un grand réconfort de pouvoir s'accorder quelques moments de répit sous cette ombrelle vivante, en se rafraîchissant à la source qui souvent murmure tout près. Et puis, il se peut, que comme Socrate, vous soyez saisi de la beauté et la sérénité du lieu, et que les quelques minutes de halte se transforment en un long moment de contemplation de cette beauté...

En ces temps frustes où ne semblent compter que nos productions et services traduisibles en espèces sonnantes et trébuchantes, les minutes consacrées à une activité aussi inutile seront au mieux considérées comme un loisir, au pire une coupable perte de temps (autrement dit, de la paresse).

Et pourtant, qui peut contester que l'héritage le plus précieux de mon pays n'a pas été insufflé à nos ancêtres par leur émerveillement devant la beauté qui s'étalait tous les jours à leurs yeux ? Le terrain était favorable à la création artistique, la réflexion philosophique ou le raisonnement mathématique (bon, d'accord, il y avait aussi les esclaves pour faire la cuisine et le ménage....).

Malgré les outrages nombreux infligés par le "développement" sauvage de la Grèce depuis les années 1950, malgré les insuffisances des pouvoirs publics en terme de gestion et préservation environnementale, la Grèce reste un pays montagneux quasiment vierge et aux côtes encore plutôt préservées. Même à Athènes, ville tentaculaire qui a débordé son carcan de montagnes pour envahir l'Attique entière, le centre ville historique est aujourd'hui réservé à l'usage des piétons, et dans les quartiers sinistrés par la crise, des initiatives citoyennes naissent pour inciter les citadins à se prendre en main et à remettre bénévolement en état trottoirs, façades, ou lieux désaffectés. C'est le cas "d'Atenistas", une association à laquelle nous tirons un coup de chapeau, et dont les actions concrètes embellissent autant les lieux qu'elles ensemencent les esprits.

La Grèce est née de la contemplation de sa beauté. Et si elle renaissait de la reconquête de sa beauté ?