Une petite pastille de grec moderne... 2. λόγος / λόγγος

2. ο λόγος / ο λόγγος.

 

On le dit, les ressemblances sont souvent trompeuses et dans ce cas précis, on ne fait pas plus différent que λόγος (loghos) et λόγγος (logos).

 

Il suffit d'ouvrir un dictionnaire étymologique pour que 'λόγος ' vous explose à la face comme un des mots grecs le plus fécond ayant jamais infusé dans notre belle langue française :  décalogue, dermatologue, égyptologue, oenologue, n'en jetez plus, il est partout.

 

C'est vrai qu'on touche à quelque chose de fondamental.

 

ο λόγος, c'est tout d'abord le Discours, la suite articulée de mots qui forme une expression cohérente.

En ce sens il sert de racine à πρόλογος (prologhos - prologue, "avant le discours") et son contraire επίλογος (epiloghos - épilogue), διάλογος (dialoghos - dialogue, "échange entre deux ou plusieurs interlocuteurs") et son contraire μονόλογος (monologhos -monologue) ; λογοκρισία (loghokrissia - censure) nous rappelle que dans certains pays les discours peuvent faire l'objet de jugements défavorables ("κρίση" - krissi, qui a donné "critique") de la part des autorités.

 

Il peut aussi revêtir le sens du Verbe, le concept originel du mot,  pour κατάλογος (kataloghos - catalogue, suite classée de concepts), ανάλογος (analoghos - analogue, concept équivalent), quant à λογοτέχνης (loghotekhnis- écrivain), il est celui qui a pour art (tekhni) de manier les mots.

L'expression "σου δίνω τον λόγο μου" (littéralement : "je te donne ma parole"), relie ce loghos à ce que nous considérons de plus fiable en nous.

 

Plus fréquemment encore, il est utilisé pour signifier la cause, la raison : Για ποιόν λόγο (ghia pion logho - pour quelle raison, une façon plus chic de dire "pourquoi"). D'où un nouveau ruissellement de dérivés : παράλογος (paraloghos - "à côté de la raison" ce qui en bon français donne à côté de ses pompes, voire carrément délirant), λογικό (loghiko - logique, qui suit un raisonnement), λογική (loghiki - la Logique, en tant que science du raisonnement).

Par extension, le suffixe λόγος est venu caractériser tout ce qui revêtait d'un caractère scientifique : de allergologue à zoologue, en passant par kremlinologue ou girafologue, l'esprit humain excelle à créer de nouvelles fonctions étudiant de nouvelles matières de plus en plus pointues. En rajoutant -logue à un mot c'est comme si on lui mettait une blouse blanche, un petit bureau et un cadre avec un joli diplôme au mur (les tintinologues préféreront sans doute une planche de BD).

 

Avec λόγος on touche donc à la quintessence de l'humain : sa faculté de penser et d'exprimer cette pensée.

Mais, si on voulait rester fidèle à la racine grecque, il aurait fallu ne pas écrire -logue, mais -loghe... les satanés Latins sont passés par là et voilà que le doux, aérien et oriental γ (ghamma) a été transposé en dur, guttural et occidental "gue", ce qui en grec aurait dû s'écrire γγ ou γκ.

Qu'est ce donc que ce λόγγος (ou λόγκος, les deux orthographes coexistent pour désigner ce même mot) dont on nous rebat les oreilles ? En grec, il signifie "le talus, le bosquet, la friche", dans le sens d'une parcelle laissée à son état sauvage, non cultivée et impraticable. Vous n'y trouverez donc aucun chemin logique, et les plus beaux discours seront étouffés dans l'épais feuillage...

En conclusion, pas de λόγος sans défricher le λόγγος !