Chap. 8 partie 2 : 1945-1949, une nation déchirée

3/12/1944 : des corps de manifestants non armés d'ELAS jonchent la place Syntagma - source 'I kathimerini'
3/12/1944 : des corps de manifestants non armés d'ELAS jonchent la place Syntagma - source 'I kathimerini'

Décembre 1944 - Février 1945 : Churchill à Athènes... pour rien.

Les combats font rage dans les rues d'Athènes et les alentours. Malgré leur artillerie et leur soutien aérien, les Britanniques sont forcés de rappeler en renfort des unités basées en Italie pour reprendre la main. En Grande Bretagne, Churchill se voit accusé d'attaquer un allié face aux Nazis, et vient à Athènes en plein Noël 1944 pour tenter en vain de sceller un accord en présence d'émissaires Soviétiques. Ces derniers, satisfaits d'avoir obtenu le contrôle de l'Europe de l'Est, restent neutres et ne répondent pas aux appels à l'aide de l'EAM-ELAS.  Cela crée de fortes dissensions au sein de sa direction qui finit par mettre fin aux combats. C'est l'accord de Varkiza, signé le 12 février.

 

Armes remises par ELAS en février 1945 - source Min. des Aff. etrangères de la Grèce
Armes remises par ELAS en février 1945 - source Min. des Aff. etrangères de la Grèce

Février 1945 - Mars 1946 : une trêve illusoire.

L'amnistie promise par l'accord de Varkiza permet au secrétaire général du PC grec, Nikos Zachariadis, de rentrer de son exil et de proclamer qu'il recherche l'avènement d'une République Démocratique Populaire par des moyens pacifiques. La rupture est consommée avec Aris Velouchiotis, le chef militaire de l'EAM-ELAS qui voulait relancer une guerilla. Acculé, trahi par les siens, il finit par se suicider en juin 1945.

Les arrestations d'ex-combattants d'EAM-ELAS se multiplient, et il apparait alors clair que l'amnistie n'est que très partiellement appliquée. Des milices ouvertement anti-communistes commettent impunément des exactions dans des villages soupçonnés de soutenir EAM-ELAS, en représailles des attaques subies pendant la Guerre. Des milices d'auto-défense communistes se reconstituent en réaction.

Avec la Guerre Froide qui s'installe en Europe, le PC grec durcit sa position et refuse de participer aux élections de mars 1946, qui ouvrent la voie au retour du roi George II, très proche des Britanniques.

Le 30 mars, l'attaque d'un poste de police à Litochoro, aux pieds du mont Olympe, fait 11 morts au sein des forces de l'ordre, et relance le conflit, cette fois-ci dans tout le pays.

 

Enfants refugiés grecs envoyés dans d'autres pays du bloc de l'Est - source wikimedia commons
Enfants refugiés grecs envoyés dans d'autres pays du bloc de l'Est - source wikimedia commons

Avril 1946 - Juin 1948 : de la guérilla à la guerre totale

Les attaques de postes policiers se multiplient, les montagnes grecques offrant un refuge idéal aux partisans communistes. Sous le commandement de Marcos Vafiadis, ces groupes éparpillés sont intégrés dans une véritable force armée, le DSE (Armée Démocratique de la Grèce) qui dès la fin 1946 comptait autour de 16'000 combattants. Grâce au soutien de la Yougoslavie de Tito, qui servait à la fois de base arrière et de source d'approvisionnement en vivres, matériels et armes, le DSE opposa une lutte particulièrement féroce aux forces gouvernementales, dont les alliés Britanniques étaient à bout de souffle. En 1947, les Etats-Unis de Truman décident de s'engager en Grèce face aux communistes, devenus leur ennemi mondial.

Fin 1947, enhardi par ses succès militaires, le PC grec voulu former un véritable gouvernement avec un territoire sous son administration, et lança une offensive sur la ville frontalière de Konitsa, pour en faire sa capitale. Il engage 10'000 hommes dans cette attaque, mais l’armée gouvernementale résiste, grâce à un pont aérien qui brisa le siège de la ville et renversa l'équilibre des forces. Ce fut un tournant de la guerre civile, qui atteignait son paroxysme dans la haine et la violence : l'ennemi n'était pas grec, mais 'Monarcho-fasciste' ou 'EAMobulgare' (en référence aux recrues communistes issues des pays du bloc de l'Est). Des deux côtés on organisait des ramassages forcés d'enfants dans les villages pour les mettre 'à l'abri' de l'ennemi. Les villages passaient de main en main et des tribunaux ad hoc condamnaient les paysans de collaboration avec l'un ou l'autre camp, donnant lieu à des exécutions sommaires.

 

Camp de prisonniers politiques de Macronissos (en face de Sounion) - source wikimedia commons
Camp de prisonniers politiques de Macronissos (en face de Sounion) - source wikimedia commons

Juin 1948- Octobre 1949 : les combats prennent fin, la déchirure demeure béante.

La rupture entre Tito et Staline eut un effet dévastateur, et se répercuta au sein des directions du DSE et du PC. La ligne pro-soviétique de Nikos Zachariadis l'emporta, et Marcos Vafiadis fini par être exclu en janvier 1949. Tito retira alors son soutien et démantela les bases arrières qui étaient sur son territoire. En face, les forces gouvernementales, réorganisées par le général Papagos et appuyées par les Etats-Unis, accumulaient les victoires sur tout le territoire. En septembre 1949 il ne restait plus que quelques poches de résistance le long des frontières albanaises, qui furent évacuées, avec toute la direction du DSE, par les Soviétiques en Asie Centrale et en Europe de l'Est.

Le 16 octobre 1949, Zachariadis annonce un "cessez le feu temporaire". C'est la fin des combats.

 

23 mai 1984 : Markos Vafiadis et Thrasivoulos Tsakalotos se serrent la main devant la camera de la RAI - source RAI
23 mai 1984 : Markos Vafiadis et Thrasivoulos Tsakalotos se serrent la main devant la camera de la RAI - source RAI

Ce conflit fratricide déchira le pays sur toute la 2ème moitié du XXè siècle : on estime à près de 100'000 les prisonniers issus des rangs de EAM-ELAS, du DSE et militants pro-communistes qui croupirent dans les geôles politiques en Grèce.

La plus tristement célèbre fut l'ile de Macronissos, en face de Sounion. Elle ne fut démantelée qu'en 1974.

Les victimes militaires sont estimées à 30'000 morts, les civiles quatre à cinq fois plus nombreuses. Plus de 500'000 réfugiés civils se sont éparpillés en Europe de l'Est, avec parmi eux entre 20 et 30'000 enfants séparés de leurs familles, qui ne purent commencer à rentrer qu'après 1975, quand le PC fut de nouveau autorisé.

En mai 1984, à l'initiative d'un journaliste grec et de la RAI (TV publique italienne, la TV grecque ayant refusé de prendre part à l'événement) Markos Vafiadis (78 ans) accepta de serrer la main de l'ex-général Tsakalotos (87 ans) qui commandait les troupes sur le terrain face à lui. Ce fut considéré comme le geste d'apaisement le plus symbolique, 35 ans après la fin du conflit, que l'histoire officielle grecque nommait encore συμμοριτοπόλεμος (insurrection menée par des bandits).

Il ne fut reconnu comme εμφύλιος (guerre civile) qu'après l'avènement du premier gouvernement de coalition avec participation du parti communiste, en 1989.