Mythologie méconnue (ép. 5) : Méduse, une méchante qui protège du mal

On reconnaît la qualité d'un mythe à sa longévité, et celui de Méduse émerge du plus profond de la nuit des temps, quand les chroniqueurs étaient des aèdes, à la fois conteurs, poètes, chanteurs et sans doute aussi un peu magiciens. Il fallait bien ça pour faire passer les longues soirées d'hiver.

Et elle nous vient vraiment de très très loin Méduse, puisqu'elle est petite-fille de Gaïa (la Terre) et de Pontos (le Flot marin, version masculine de la Mer). Divine et mortelle, sublime et terrifiante, dangereuse et protectrice, elle résume parfaitement ce qui a le plus fasciné et effrayé les hommes depuis qu'ils sont hommes, à savoir, la femme.

 

UNE HISTOIRE UN PEU TIRÉE PAR LES CHEVEUX :

 

Cela commence comme l'histoire d'un jeune homme, Persée, fils de Zeus et de Danaé. Enfant, il fut enfermé dans un coffre avec sa mère et jeté à la mer car son grand père, le roi d'Argos, voyait en lui son futur assassin. Les débuts sont donc un peu difficiles.

Il est recueilli et élevé dans la cour du roi de Sériphos, souriante île des Cyclades. Une fois majeur, il veut montrer sa valeur en faisant un peu le ménage dans le secteur. Un monstre hantait les lieux, une Gorgone, femme-serpent, ou femme-cheval avec des cheveux en serpents , ou femme-cheval avec des dents de sanglier, des ailes de griffon et des serpents quelque part, les témoignages sont fragiles, d'autant plus qu'ils ne sont pas légion : tous ceux qui l'ont vue auraient été tout simplement pétrifiés. Ce qui est sûr c'est qu'elle s'appelle Méduse.

Notre héros, sûr que ses relations hauts placées lui donneraient le coup de pouce qu'il faut au moment décisif, se mit donc en route  avec un beau projet en tête : lui trancher la sienne.

 

Mais arrêtons nous un instant : est elle vraiment si monstrueuse que ça ? Ne s'agit-il pas d'un énorme malentendu ? Ce ne serait pas la première fois après tout... qu'a t-elle fait au juste pour mériter une telle réputation ?

 

Si on s'intéresse de près à son histoire... on est vite perdus ! Les premiers à en parler évoquent en effet un monstre primaire tout bête, qui fait peur à tout le monde en tirant la langue et en poussant de gros cris du fond de la cave. Vraiment insupportable.

Mais au fur et à mesure que les siècles avancent, les conteurs rajoutent du sel à l'histoire et la voilà qui s'affine, se fait un bon gommage corporel, des bains au lait d'ânesse, prend des cours d'éloquence et, ma foi, notre Méduse est devenue une jeune femme gracile, pétillante, très jolie.

Trop jolie en fait, et qui en plus en était consciente, ce qui avait le don d'énerver les Déesses, et notamment Athéna, avec qui elle avait eu l'outrecuidance de se comparer. En plus, sa beauté excitait les mâles désirs des Dieux. C'est Poséidon qui se lança en premier, et perpétra ce qui aujourd'hui serait nommé un viol, mais à l'époque était considéré comme faisant partie du destin des mortels, soumis aux Dieux en toutes circonstances. Pour couronner le tout, le crime fut commis à l'intérieur d'un temple d’Athéna, qui était déjà remontée contre Méduse. Sa vengeance fut donc double : d'abord elle la transforme en une terrifiante Gorgone, et notamment, sa magnifique chevelure devient un écheveau de serpents. Elle est condamnée à errer dans la solitude absolue, car tous ceux qu'elle croise sont pétrifiés d'un seul regard.

Puis, Athéna va guider la main de Persée qui la décapitera sans la regarder, et brandira sa tête en trophée. La déchéance est totale.

Résumons : une belle jeune fille, d'abord victime de viol, puis défigurée, puis assassinée, en punition pour ce crime qu'elle a subi. Pas étonnant que cette histoire à la douteuse morale résonne toujours aujourd'hui comme un cri d'injustice. Une toute récente statue de Méduse tenant la tête de Persée érigée en face d'un tribunal de New York vient nous rappeler, à toutes fins utiles, qu'une femme violée est avant tout une victime à qui l'on doit justice.

 

Mais s'arrêter là serait faire une lecture un peu rapide de ce mythe, véritable édifice sur lequel chaque chroniqueur rajouta un étage sans trop se soucier de ce qu'il y avait en dessous, au point d'en faire un immeuble peu harmonieux et brinquebalant. Baissons les yeux, creusons un peu pour en réexaminer les fondations, sous la terre.

 

 

DERRIÈRE LA TÊTE, LA TERRE :

 

La première chose qui nous interpelle est la profusion de têtes de Méduse. C'est l'une des effigies les plus courantes pendant l'Antiquité : dans les temples, sur les pièces de monnaie, sur les boucliers, dans les mosaïques, sur les céramiques, elle est partout. Il ne faut pas oublier, que même si l'on a cherché à l'humaniser, elle reste une divinité primaire, issue de la Terre. Le serpent, symbole lié à la Terre, loin de lui être imposé en punition, lui est donc totalement intrinsèque. Ce n'est d'ailleurs pas un animal considéré comme forcément maléfique : le premier roi d'Athènes, Kekrops, celui qui choisit Athéna pour protectrice de sa ville, était lui même mi-serpent !

Certes elle pétrifie ceux qu'elle croise du regard, mais qui croise-t-elle au juste ? Pour la trouver, Persée dût chausser des sandales ailées, menacer des vieilles femmes un peu répugnantes en leur confisquant l’œil qu'elles se partageaient à trois... On pensait qu'elle était du côté de Sériphos, mais voilà qu'il faut aller quasiment au bout du monde, au delà du jardin des Hespérides. Pas vraiment un endroit où une Gorgone peut se bâtir une honnête collection de bustes. Il fallut aller la chercher de là où elle venait, du plus loin de notre monde, à ses limites, car elle fait une sorte de jonction entre le monde des hommes et celui... au delà des hommes.

D'essence divine, elle est aussi une femme, et de ce fait mortelle. En se sacrifiant à Athéna, elle met son fabuleux pouvoir à notre service et devient le symbole protecteur par excellence.

Méduse, petite-fille de la Terre, celle qui éloigne le mal-intentionné, l'ennemi, l'esprit malin, reste près de moi !

 

ENSEIGNEMENTS UTILES DE CE MYTHE :

1. Une histoire sert avant tout celui qui la raconte.

2. La beauté des femmes pétrifie le regard des hommes depuis la nuit des temps.

3. Le monstre n'est pas toujours celui qui en a l'apparence.